le 15 septembre 2021
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Publié le 8 juillet 2021 Mis à jour le 27 juillet 2022

Appel à contributions - Catastrophes patrimoniales

Illustration AAC Catastrophes patrimoniales.PNG
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Appel à contributions - rencontre "Catastrophes patrimoniales - Notre-Dame de Paris au risque de la comparaison" - 16-17 décembre 2021, Institut national du patrimoine (INP) - délai au 15 septembre 2021

Appel à contributions

Catastrophes patrimoniales
Notre-Dame de Paris au risque de la comparaison

16-17 décembre 2021
Institut national du patrimoine, Paris

Chantier scientifique Notre-Dame
CNRS et Ministère de la Culture
Groupe de travail Émotions-Mobilisations
Axe 3 Approches comparatives

Le 15 avril 2019, l’incendie et la destruction de la toiture de Notre-Dame de Paris déclenche une émotion internationale dont les manifestations dépassent largement les frontières des communautés religieuses et nationales touchées par la dégradation de la première des cathédrales et de l’un des monuments majeurs du patrimoine français. L’on peut se pencher sur les effets de cette catastrophe dans sa singularité, au plus près des acteurs qui ont lutté contre l’incendie, des populations qui voisinent avec le monument et des spécialistes qui s’occupent aujourd’hui de la restauration, tout en rappelant l’inscription de Notre-Dame dans les récits nationaux français. Le groupe de travail Émotions-Mobilisations s’attelle à cette tâche en étudiant le devenir des restes de l’incendie, entre matérialités et sacralités, et les pratiques de médiation patrimoniale bouleversées par la catastrophe qui interdit la visite et le contact physique des visiteurs avec la cathédrale.

Cependant, le rappel d’autres désastres patrimoniaux, sous des latitudes et dans des contextes historiques et politiques bien différents, peut sans doute nous montrer l’incendie de Notre-Dame sous un autre jour. La comparaison ici ne consiste pas à réduire le cas particulier à la généralité d’un modèle, ni à penser chaque catastrophe comme incomparable et irréductible. Au contraire, il s’agit de penser ensemble les singularités, les divergences et les ressemblances, afin de donner à voir chacun des cas à la lumière des autres, dans un dialogue entre les structures d’un phénomène qui se reproduit et les configurations locales toujours inédites et singulières. Au sein de l’axe 3 Approches comparatives du groupe de travail Émotions-Mobilisations, sont étudiés les cas du Musée national de Rio de Janeiro (Brésil), de Coventry (Royaume-Uni) et de Notre-Dame-de-la-Merci (France, Bretagne). Ces rencontres comparatives ouvrent le paysage à d’autres lieux, d’autres moments et d’autres monuments.

En soumettant la destruction de Notre-Dame de Paris du 15 avril 2019 au risque de la comparaison, l’enjeu consiste à mettre au jour une sorte de grammaire de la catastrophe patrimoniale, en utilisant les outils de l’anthropologie des émotions patrimoniales et des catastrophes, tout en restant attentifs aux singularités dont chaque événement est porteur et qui révèlent les modalités contemporaines des sensibilités patrimoniales de nos sociétés.
Dans le cadre d’études de cas de différentes catastrophes patrimoniales d’ampleurs variées, on pourra s’interroger sur plusieurs des thématiques suivantes.

Pratiques et réactions : registres des émotions et des mobilisations
L'événement que constitue la destruction d'un monument entraîne une série de réactions individuelles et collectives qui dessinent un large spectre d'émotions et de mobilisations. Il serait possible d'en établir l'inventaire et d'en étudier les modalités et les contextes d'apparition, tant du point de vue du parcours des individus que des temporalités et du passé collectif des groupes touchés par la catastrophe. Il est notamment possible de cartographier la diffusion numérique de la catastrophe, en étudiant l'utilisation des réseaux sociaux qui conduit à une mobilisation qui dépasse le lieu de la catastrophe, souvent dans de plus grandes proportions et à plus grande vitesse. On s'arrêtera notamment sur les mots, les gestes, les acteurs, les moyens de diffusion qui mettent au jour les émotions partagées (déploration, indignation, stupéfaction, motivation, mobilisation de la mémoire), et sur les formes d'organisation des moyens mis en œuvre pour répondre à la catastrophe (recours aux forces de l'ordre, mobilisation citoyenne, monde associatif, collecte de fonds, mise en récit et en sens). Mais on doit également pouvoir montrer de façon assez précise dans quelle mesure ces registres d'émotions et de mobilisations participent de la construction sociale de l'événement catastrophique et modèlent en retour les manières de penser, dire et sentir les effets du désastre. Ainsi, alors que le saisissement émotionnel qui se met en scène dans l'intimité des foyers, dans les médias qui font émerger et diffusent les sentiments au niveau collectif, ou dans les prises de position publiques des responsables du monument et des hommes politiques, l'inventaire des registres des émotions et des mobilisations permettra de mieux comprendre comment la catastrophe est à la fois la cause de l'expression des émotions et de l'organisation des mobilisations, mais également le produit d'un processus social complexe qui détermine dans le même temps sa perception et son sens.

Conséquences : nature du bien patrimonial et effets sociaux et patrimoniaux du drame
Après le drame et la formulation de ses interprétations sur le vif vient le moment des tentatives de résolution du désordre et du vide que la catastrophe a pu causer. Intimement lié au premier temps de l'émotion et de la mobilisation, celui de la reprise en main du cours des choses n'en constitue pas moins une arène sociale et politique où vont s'affronter des orientations de restauration qui doivent être en cohérence avec les directives patrimoniales en vigueur, mais également des visions du futur du monument et des perspectives globales sur ce que le patrimoine représente pour l'avenir de la société. On peut émettre l'hypothèse que la nature, l'état et la notoriété de l'élément patrimonial touché par la catastrophe a une forte incidence sur la réparation et sur les représentations collectives qu'elle charrie avec elle. L'inscription du bâtiment dans l'histoire des représentations nationales ou locales, son rôle dans les rituels collectifs ou intimes, la diversité culturelle ou religieuse que le monument incarne, ses usages religieux indexés à la place des institutions confessionnelles, la valorisation touristique dont il pouvait faire l'objet doivent sans doute peser dans les choix patrimoniaux de restauration, dans l'ampleur des mobilisations collectives et dans la fabrique de la mémoire sociale du drame et du monument. À partir d'étude de cas précis, on pourra s'interroger sur les liens entre le statut social, religieux, identitaire ou culturel de l'élément patrimonial avant la catastrophe et les directions que les responsables et les acteurs de la restauration ont suivi et ainsi évaluer l’incidence de ces facteurs sur l’importance que le monument, qui peut se révéler renforcée, affaiblie ou transformée en raison des dommages qu'il a subis.

Mémoire : fabrique sociale du souvenir et modalités de narrations
Les catastrophes patrimoniales qui affectent les institutions culturelles et religieuses actualisent les mémoires, les émotions et les mobilisations avec des effets individuels et collectifs d'une grande répercussion et d'une grande puissance. Enquêter sur la manière dont les récits de ces catastrophes, produits par les acteurs sociaux, opèrent dans le jeu entre mémoire et oubli, se présente comme une voie pertinente pour élargir la compréhension de ces phénomènes sociaux.
En raison de leur caractère hautement sélectif, les récits mémoriels incarnent des perspectives singulières qui reflètent le pouvoir de la mémoire sur ce qu'il faut retenir et ce qu'il faut oublier, ce qu'il faut négliger et ce qu'il faut amplifier. La dimension rétrospective du récit n’efface donc en rien la dimension actuelle de la narration et fabrique en même temps les conditions de la remémoration. Ainsi, nous prenons le récit comme un genre discursif à travers lequel les institutions et leurs acteurs se construisent socialement à partir d'opérations de cadrage et de sélection sur leur passé en vue de façonner leur avenir. À travers l'analyse des récits, circonscrits par certaines matrices sociales, individuelles ou culturelles, les dynamiques entre mémoires institutionnelles, collectives et personnelles de la catastrophe peuvent apparaître de façon plus nette.
Il importe alors de comprendre quelles représentations, émotions et mobilisations collectives sont mises au jour à travers des récits qui racontent la catastrophe. Ces derniers semblent d’abord pointer vers la perte et la destruction, mais ils suggèrent aussi la persévérance et la permanence, à travers les traces qu’ils deviennent ou qu’ils interprètent. Il est probable que les récits sont à l’origine de processus de résistance et de redéfinition qui consolident des formes d'appartenance collectives. On se demandera dans quelle mesure et de quelle manière les récits énoncent, évoquent ou atténuent les pertes causées par les catastrophes, s’ils opèrent des transformations de processus collectifs de résistance, s’ils contribuent à la transmission des souvenirs des catastrophes et s’ils peuvent parfois empêcher la répétition du malheur.

Crises patrimoniales : la catastrophe comme construction sociale de la fragilité du patrimoine
Le patrimoine culturel, dans sa version intergouvernementale comme dans la vision des instances nationales ou régionales qui en ont la charge, se définit en premier lieu comme un élément qui, outre sa fonction identitaire, est toujours en risque de disparaître : dégradation physique, oubli du sens par les générations actuelles, coût financier exorbitant, usage touristique dévastateur, menaces climatiques, extinction des porteurs de traditions ou prédation financière. Le paradigme de la "bibliothèque qui brûle" comme celui de l'endangerment fonctionnent comme la définition de ce qui fait patrimoine : sa valeur culturelle est indexée à sa fragilité. La catastrophe qui endommage et détruit un élément culturel peut se situer au point culminant de la liste des dangers qu'encourt le patrimoine. Survenant par négligence, par accident ou par dessein, la catastrophe vient confirmer la fragilité intrinsèque du patrimoine culturel et ravive alors la rhétorique de la perte qui est à l'œuvre dans toute entreprise patrimoniale.
A contrario, on peut constater une augmentation de l'utilisation des technologies numériques appliquées à la préservation du patrimoine et apparaissent comme des ressources importantes pour la connaissance des biens culturels. Mais il existe un certain fétichisme par rapport à ces technologies, souvent perçues comme une "salvation" : la numérisation et l'impression 3D permettraient de compenser la perte du patrimoine physique. Une réflexion sur les outils numériques remet donc en jeu des débats déjà bien connus sur l'authenticité, la valeur patrimoniale et la fragilité du statut patrimonial lui-même.
Il s'agit ici de décrire la place que tient le désastre patrimonial dans la palette des expressions, des représentations et des narrations de la fin et du danger, et d’envisager la manière dont il participe, soutient, diversifie ou amplifie le recours aux récits apocalyptiques, allant jusqu'à son insertion dans des théories du complot aux usages politiques douteux. On tentera donc de comprendre comment la fin d'un monde se retrouve en puissance dans la catastrophe patrimoniale et comment la mobilisation - y compris numérique - envers le patrimoine peut constituer, au rebours, une sorte de combat salvateur contre la perte et la fin du monde.

Temporalité et spatialité : la catastrophe comme événement dans le temps et dans l'espace
S’il est de nos jours devenu courant de citer ce vers de Shakespeare "Time is out of joint", le temps se dégonde ou est hors de ses gonds, c’est que cette formule entre en résonance avec notre actualité. On l’aborde ici par la problématique de l’événement provoqué par la destruction volontaire ou accidentelle de sites urbains emblématiques, ce qui induit la question des temporalités telles qu’elles apparaissent structurées par la catastrophe qui fait date.
Définissant un avant et un après, l’événement lui-même bref, force à s’interroger sur ce que fut avant, dans sa positivité comme dans sa négativité, sur la nostalgie de ce qui n’est plus, mais aussi sur l’espoir de ce qui sera et fera advenir "un monde meilleur", autre formule récurrente de nos jours. Le propos de ce panel est donc de considérer les temporalités à l’œuvre, la violence de la rupture, mais aussi les rémanences qui se perpétuent ainsi que les projections censées dépasser les contradictions antérieures.
Comment, dans le temps long comme à travers la diversité des sites et espaces nationaux étudiés, comment face à la catastrophe urbaine touchant en particulier des édifices patrimoniaux (religieux ou laïques comme bibliothèques, ponts, monuments divers), incarnations même de notre pérennité et stabilité ainsi que le percevait Halbwachs, cherche-t-on à sauver, réparer, reconstituer, corriger, magnifier ? Faut-il intégrer ou effacer l’événement ? Comment traces du passé et affirmation d’une continuité peuvent-elles coexister avec volonté de renaissance ? Si le traumatisme enferme dans un temps qui ne passe pas, que dire de l’émotion provoquée par la catastrophe, laquelle se dilue au contraire avec rapidité ? Et dans quelle mesure le regard anthropologique tout à la fois distant, décentré et empathique peut-il refléter ces phénomènes ?

Droit au patrimoine : reconstruction, citoyenneté et usages politiques de la culture
Habituellement classés comme "accidents" dans les sphères des enquêtes, de l’administration et des médias, les événements patrimoniaux critiques tels que les incendies peuvent se révéler comme le résultat d’un long processus de répartition inégale des risques et de vulnérabilité et, en conséquence, de vulnérabilisation des collections et des bâtiments. Dans ces scénarios, les causes de la catastrophe acquièrent une importance narrative particulière (comme les “court-circuits”, les “pénuries d'eau”, les “défaillances humaines”, la “mauvaise gestion”), les processus médiatiques et d'expertise sont ritualisés, les responsabilités administratives et les projets de reconstruction sont fortement indexés aux usages sociaux et instrumentalisations politiques de la catastrophe.
Cependant, dans un cadre comparatif qui inscrit le monument dégradé ou détruit dans une série historique d’autres drames, des distinctions significatives peuvent émerger, relatives aux investissements financiers, au positionnement de classe, de race et d’appartenance ethnique qui donnent à comprendre la position du bien patrimonial comme les politiques de sa gestion administrative et matérielle.
De la même façon, dans les zones sinistrées, à partir des rapports entre les personnes touchées et les agents de l'État et de la coopération technique et humanitaire, les politiques d'aide sont organisées, des lignes directrices patrimoniales sont imposées et superposées, et les projets de reconstruction et de mobilisation du futur sont souvent accompagnés de processus de responsabilisation et de remise en cause des compétences.
Dans ces arènes, le drame originel peut se multiplier en de nouveaux et d’innombrables drames successifs. Les communautés et les groupes affectés doivent alors organiser des formes dynamiques de solidarité, de réponse aux traumatismes et du droit à la reconstruction dans les langages de la citoyenneté, de la culture et du patrimoine.

Réflexivité : les chercheurs et les acteurs face au drame
La reconnaissance des multiples médiations par lesquelles l'anthropologie, et la connaissance scientifique en général, sont "produites" - de son financement, à l'accès au terrain et aux personnes, et même aux conditions académiques de préparation des résultats - implique une attitude réflexive, qui doit être constitutive de notre pratique. La réflexivité prend des contours particuliers lorsqu'il s'agit d'aborder les questions patrimoniales, compte tenu de la multiplicité des rôles que nous occupons dans ce domaine. Nous ne sommes pas seulement des analystes ou des spécialistes du patrimoine, mais des agents de cette politique : nous validons des demandes, par l'émission de rapports ou par élaboration d´inventaires, nous gérons des institutions, nous produisons des collections, nous sommes des exécuteurs de politiques publiques de protection des biens. Les rôles variés et le poids relatif que nous portons déterminent souvent des situations sensibles qui nous demandent de mobiliser un sens de l'action micropolitique. Ils appellent des réflexions éthico-morales sur la production de connaissances anthropologiques face aux impératifs de silence et d'engagement afin de préserver les institutions et les groupes avec lesquels nous sommes en relation et menons nos enquêtes. Pour traiter de ces aspects réflexifs, le partage d’étude de cas permettra de confronter des expériences de terrain sur les catastrophes patrimoniales qui posent des questions méthodologiques et éthiques centrales.

Les conférences d’ouverture seront prononcées par Véronique Dassié (UMR Héritages) et Sandrine Revet (Science Po, CERI).

L’appel a été rédigé par les membres de l’Axe 3. Approches comparatives du groupe de travail Émotions-Mobilisations du Chantier Scientifique Notre-Dame (CNRS-Ministère de la Culture) :
Vivian Luiz Fonseca (Fondation Getulio Vargas et Université de l'Etat de Rio de Janeiro)
Emma Goacolou (Service de l’inventaire du patrimoine, Région Bretagne)
Elsa Grugeon (Sciences Po Aix, Aix Marseille Univ, CNRS, Mesopolhis)
Garance Girard (Service de l’inventaire du patrimoine, Région Bretagne)
Cyril Isnart (CNRS Aix Marseille Université, IDEMEC)
Renata de Castro Menezes (Museu nacional, Universidade Federal do Rio de Janeiro)
Edmundo Pereira (Museu nacional, Universidade Federal do Rio de Janeiro)
Thaís Mayumi Pinheiro (Museu nacional, Universidade Federal do Rio de Janeiro)
Diana de Souza Pinto (Universidade Federal do Estado do Rio de Janeiro)
Anne Raulin (Université Paris Nanterre)

Les propositions (300 mots, auteur(s), affiliation et email) peuvent s’appuyer sur un ou plusieurs cas de désastres patrimoniaux et sur une ou plusieurs des thématiques énoncées ci-dessus. Elles doivent être adressées à Cyril Isnart, isnartc[at]gmail.com, avant le 15 septembre 2021. Les participants recevront les résultats vers le 1er octobre 2021.
Si les conditions sanitaires le permettent, la rencontre se déroulera à l’Institut national du patrimoine, Paris. Les frais de déplacements seront pris en charge par l’organisation.
 

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